Extrait du livre blanc « L’accès à l’information et aux Réseaux Sociaux rend-il plus innovant.e ? »
Texte de Clémentine Cabrol et Eryck Fenot
Les réseaux sociaux, nouveau terreau de l’innovation : regards croisés
[Clémentine CABROL] Les réseaux sociaux font désormais partie intégrante de notre quotidien, source d’information inépuisable.
Au détour de notre recherche d’information sur notre secteur d’activité, ou un centre d’intérêt, il n’est pas rare, en effet, de se laisser guider par les discussions, ou de naviguer de hashtag en hashtag, tel un surfeur enchaînant les vagues. A la fin de notre séance de surf 2.0, nous quittons alors l’océan des réseaux sociaux avec notre information sous le bras, nourris d’échanges et de connaissances supplémentaires.
Le mot « échanges » est essentiel, car au-delà d’être des outils d’information, les réseaux sociaux constituent véritablement un espace infini de conversations largement propice au partage et au dialogue. Rejoindre la conversation, n’est-ce pas d’ailleurs le leitmotiv de Twitter ?
Grâce aux multiples manières d’entrer en contact avec nos homologues, experts de notre domaine d’activité, il est désormais facile et accessible d’avoir un avis sur une question ou une problématique similaire à celle que nous rencontrons dans notre quotidien. Réponses à un Tweet, message privé plus intimiste, échanges décontractés dans un groupe de discussions : autant de moyens de se nourrir d’informations, avec un seul et même réseau social !
De ces échanges naissent alors de nouvelles réflexions, de nouvelles solutions à expérimenter. Formidable source d’inspiration, les réseaux sociaux peuvent ainsi nous rendre plus innovant dans notre approche du métier, et nous amener à réinventer notre manière de travailler.
[Eryck FENOT] Un « réseau » est un ensemble de nœuds, reliés entre eux, afin d’échanger et de partager. Un réseau social est un ensemble d’individus, dont certains sont des « têtes de nœuds » selon Alban Jarry, reliés par des interactions régulières. Il s’agit d’outils visant à mettre en relation des personnes ou des organismes poursuivant un même objectif, ceci afin de faciliter les communications (ou pas), d’élargir le cercle de ces relations (ou pas) et dont l’aboutissement est une communauté.
La construction de sa propre notoriété (personal branding) est le but recherché par la plupart des participants, avec pour objectif d’atteindre le statut « d’influenceur » en participant activement à la création de contenu en rapport avec un domaine d’expertise.
Le manque de déontologie, comme l’achat de « faux followers », amène légitimement à la question de la confiance toute relative à avoir dans ces réseaux sociaux, vite transformés en média sociaux.
L’aspect viral, raccourcissant espace et temps, permet d’exprimer mécontentement, dénigrement et propagande. Avec la prolifération de faux comptes, comptes parodiques, bots et automates, trolls, détournements, fake news, comment faire la part des choses entre le vrai et le faux, entre l’intéressant et le superflu, entre l’important et l’inutile ?
Dans l’ère du Moi et de la recherche de visibilité, la défiance est au sommet : seul 1 Français sur 4 (25 %) juge crédible les informations trouvées sur internet et 66 % des personnes sondées n’accordent pas leur confiance aux informations provenant d’un « ami » (Etude Kantar Sofres/La croix janvier 2018).
Entre informations biaisées et contre-vérités, avec des émotions plutôt que des points de vue et une éthique disparue, quelle confiance accorder, et à qui ?
[CC] L’autre force des réseaux sociaux, et non des moindres, réside dans l’incroyable diversité des profils auxquels ils donnent accès.
A partir d’une discussion autour d’un sujet commun, les réseaux sociaux nous permettent de découvrir de nouvelles personnes, venant d’horizons professionnels parfois opposés au nôtre, et possédant des expertises différentes, qui peuvent parfois se révéler complémentaires. Ces interactions font alors émerger de nouvelles idées, créent des synergies, et peuvent aboutir à de nouveaux projets dans lesquels chaque individu apporte sa pierre à l’édifice, qu’il soit chercheur ou connecteur d’idées.
Ici, l’aspect humain rentre fondamentalement en ligne de compte : les profils s’imbriquant les uns dans les autres, et la multitude des modes de pensée favorisant le travail collaboratif et la créativité. Ces espaces de coworking virtuels par lesquels on prolonge nos échanges lors de rencontres IRL, donnent, ainsi, l’occasion de mieux se connaître et de « s’apprivoiser ». Une effervescence se crée !
[EF] Si casser les habitudes et sortir du cadre ne peut qu’être bénéfique dans une optique d’ouverture d’esprit et d’innovation, on se rend rapidement compte que les réseaux sociaux, utilisés pour interagir avec sa communauté, ne le sont le plus souvent que par l’intermédiaire de simples « like » ou de commentaires laconiques. Emulation et compétition sont naturellement souhaitées au sein de la communauté, mais cantonnées aux quelques membres en recherche de notoriété.
En vertu du proverbe « qui se ressemble s’assemble », une communauté, loin d’agréger des membres disparates, situation à même de provoquer le débat, ne contient que des membres similaires. S’adresser aux membres de sa communauté revient à ne s’adresser qu’à un public déjà conquis aux idées et au discours. De là à dire que communiquer au travers des réseaux sociaux revient à prêcher des convaincus, il n’y a qu’un pas.
Dans ces conditions quid du désaccord ou de la controverse, propres à l’enrichissement réciproque ? Les contradicteurs, quand ils existent, sont rapidement exclus et l’audience s’appauvrit.
Selon le chercheur en sciences de l’information Arnaud Mercier, « on ne lit que le point de vue qui nous convient bien. C’est une tendance naturelle qui n’est pas propre aux réseaux sociaux. Ceux-ci ne font qu’amplifier une dynamique qui était déjà à l’œuvre ».
Ce règne de l’entre-soi fait que ce sont toujours les mêmes profils, et par conséquent les mêmes idées, qui sont transmises, partagées et « likées ».
[CC] Les réseaux sociaux, ciment des rencontres ou ciment de l’innovation ? Que ce soit l’un ou l’autre qui soit envisagé, ils favorisent la nouveauté, grâce aux interactions et au partage d’information.
« Celui qui diffère de moi loin de me léser m’enrichit », dit Antoine de Saint-Exupéry.
L’innovation se nourrit ainsi de nos différences, puisant son inspiration dans la richesse de nos parcours respectifs et de nos cultures. Preuve en est avec les nombreux collectifs naissants sur les réseaux sociaux, à partir d’un thème donné : autant d’incubateurs d’idées élargissant le champ des possibles !
[EF] Selon Eli Pariser, militant internet américain cofondateur des sites de pétitions Move.on et Avaaz, la « bulle de filtres » désigne à la fois le filtrage de l’information qui parvient à l’internaute par différents filtres et l’état d’ « isolement intellectuel » et culturel dans lequel il se retrouve quand les informations qu’il recherche sur Internet résultent d’une personnalisation mise en place à son insu » (source Wikipédia).
Chaque jour 3 milliards de requêtes sont effectuées sur Google, plus de 350 millions de photos et 4 milliards de “like” sont déposés sur Facebook. Avec l’avènement du Big Data, la moindre action (achat, visite, clic, choix) est analysée, classée et si possible rentabilisée. Des algorithmes vont subtilement sélectionner les contenus faisant que chaque internaute se voit proposer une version du web conforme à sa personnalité.
Pour Katharine Viner, rédactrice en chef du Guardian : «… aujourd’hui nous avons moins de chances d’être exposés à une information qui nous stimulerait ou élargirait notre vision du monde …».
Un enfermement silencieux qui influence aussi bien les personnes, celles déjà en relation présentes dans une communauté ou celles proposées pour y entrer, que des contenus. Sans interactions fréquentes avec les posts de vos contacts, ils disparaitront progressivement du fil d’informations. Un algorithme va graduellement escamoter de la vue tous les opinions différentes. Il en résulte rapidement un confinement intellectuel et une étroitesse d’esprit.
Ce pilotage automatique géré par les algorithmes enferme l’internaute dans un cocon et finit par limiter la créativité et les débats d’idées.
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