Extrait du livre blanc « L’accès à l’information et aux Réseaux Sociaux rend-il plus innovant.e ? »
Texte de Cyril Colléatte
Réseaux sociaux et innovation – accélérateur ou boîte de Pandore ?
Même si les principaux écrits de Schumpeter sur l’innovation et la « destruction créatrice » datent du milieu du siècle dernier, l’accélération du changement est devenue une sorte de tarte à la crème dans le débat économique et politique. La vague actuelle est portée par les progrès de l’informatique, de la biologique et de la robotique présente de nouvelles « grappes » (pour reprendre l’expression schumpetérienne) parmi lesquelles on trouve l’intelligence artificielle, les biotechnologies, l’automatisation des processus, l’internet des objets…
Pour reprendre Norbert Alter, que j’ai eu la chance d’avoir comme enseignant, l’innovation se distingue de l’invention : l’invention, c’est avoir de bonnes idées ; l’innovation, c’est rendre les idées bonnes. La distinction entre l’invention et l’innovation repose donc sur l’implémentation des bonnes idées.
L’innovation est perçue comme quelque chose de positive. Probablement parce que c’est l’une des principales modalités de diffusion du progrès. Mais elle comporte une part d’ombre ou de douleur, que j’aborde peu ici : elle détruit les anciennes organisations, les anciens liens sociaux – fournissant ainsi l’engrais parfois inconscient de la résistance au changement. Les organisations contemporaines sont toutes confrontées aux flux permanents d’innovations, qu’ils soient voulus (comme dans les start-up) ou subis (comme pour les taxis). Mais c’est un processus crucial, quelle qu’en soit la dimension (marketing, organisationnelle, technologique).
Réseaux sociaux et innovation, un apport en 3 actes
A mes yeux, porter l’innovation dans une organisation repose sur un quadriptyque: un état d’esprit, des acteurs, un processus et un résultat. Les réseaux sociaux constituent une aide majeure sur plusieurs dimensions :
1. La méthode de recherche et de qualification de sources et d’information en ligne,
2. L’accès facilité aux expertises, aux méthodes et aux retours d’expérience,
3. L’échange direct avec les acteurs.
A titre personnel, j’utilise les réseaux sociaux (principalement Twitter) pour compléter ma veille et j’organise des listes thématiques en fonction des sujets que je suis (intelligence artificielle, growth hacking, qualité de vie au travail…). Ces listes sont vivantes : les comptes Twitter entrent et sortent au fil de mes lectures et publications de leurs auteurs. Les gens sur Twitter sont rarement mono-thématiques, alors j’ai aussi une liste « fourre-tout » intitulée simplement « intéressant ». Ces listes sont composées de comptes institutionnels (universités, médias…), d’experts qui partagent leurs propres contenus, et de curateurs (qui agrègent plus ou moins automatiquement du contenu sur une thématique donnée). Comme une grosse partie de l’activité sur Twitter est automatisée, il convient d’être très rigoureux pour que le rapport bruit/signal soit pertinent. Je crois que cette approche permanente d’identification/qualification de comptes pertinents ouvre un peu la voie à une approche de type test and learn (en identifiant, sélectionnant puis écartant des sources d’information) dont on fait la promotion dans plusieurs approches d’innovation. La conférence TED sur le Mashmallow challenge illustra agréablement mes propos. Cette utilisation des réseaux sociaux ouvre également la porte à la sérendipité, en nous permettant de tomber sur quelque chose qui nous est utile mais qu’on ne cherchait pas vraiment.
Ensuite, comme les méthodes d’innovation font intrinsèquement partie de mon champ de veille, mes listes Twitter permettent de faire ressortir des sources, des sélections d’articles et d’entretenir mon niveau d’acculturation et distinguer les concepts « à la mode » des mouvements de fond. Je redouble cela avec une approche livresque quand il est nécessaire d’appréhender un sujet avec davantage de profondeur. Ponctuellement, les réseaux sociaux (principalement Twitter et LinkedIn) me permettent également d’identifier une conférence intéressante. Les approches de type Lean start up, design thinking ou les méthodes agiles (comme SCRUM) sont évidemment à creuser quand elles sont dépoussiérées de leurs slogans marketing.
L’accessibilité des acteurs concrets, « en chair et en octets », constitue, enfin, le troisième grand intérêt des réseaux sociaux. Si vos comptes sociaux vous permettent d’être perçus comme quelqu’un de sérieux, Twitter et LinkedIn offrent un accès quasi-direct a des experts ou des acteurs avec une expérience réelle. Ils sont très souvent prêts à vous donner un petit coup de pouce ou une information si vous êtes respectueux de leur temps. Ça ne fonctionne pas à tous les coups parce que cela repose sur de nombreux éléments que vous ne maîtrisez pas. Mais il m’arrive régulièrement de contacter des personnes que je ne connais que par Twitter ou LinkedIn pour compléter mon analyse d’un sujet (voire pour engager une relation d’affaire le cas échéant). En revanche, je n’accuse même plus réception des messages (quotidien) de prospection sur LinkedIn.
Mais attention au syndrome de boîte de Pandore
Les interfaces des médias numériques sont essentiellement conçues pour capter notre attention et augmenter la rétention. Quel que soit notre niveau d’usage de ces médias, il est nécessaire d’avoir cela à l’esprit parce que vous commencez votre journée par une actualisation de la « hype curve » par un grand cabinet de prospectives pour vous permettre de mieux positionner les technologies en fonction de leur maturité et vous finissez en regardant des vidéos de chats.
De ce fait, j’ai une approche très encadrée des réseaux sociaux. En outre, on peut aboutir à une forme de conformisme dans les sujets de réflexion qui sont à l’agenda. Non les technologies de la blockchain n’ont pas forcément un intérêt pour votre organisation. Mais ce dernier aspect est secondaire par rapport au pouvoir de captation de l’attention des réseaux sociaux. Il vous suffit, pour le contenir, d’avoir une approche « classique » d’analyse des « opportunités/menaces » dans votre analyse stratégique.
Je vois enfin des limites à l’éloge de l’intelligence collective et je m’appuie, avec un peu d’humour, sur la conférence TEDx de Chris Esquerre dans sa conférence TEDx du 1er novembre 2015 : « Quand on met en relation des gens qui n’ont pas d’idées, ils n’en ont pas plus d’idées. Mais ça les occupe ! ».
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